Feminæ silentium

Feminæ est assise sur les talons, son visage est celui de la grand-mère maternelle, belle avec ses longs cheveux qui lui descendent jusqu’aux reins, ses rides, son sourire. Elle exprime le calme et le silence, c’est l’espace dans lequel elle vit. Toute la vivance dans les parages se trouve plongée dans cet espace de calme et de silence. Un oiseau noir est présent, seul, posé, majestueux, comme découpé dans le ciel blanc. Il prend son envol en pleine puissance.
Un désert fait face à Feminæ. Elle est à nouveau en présence de la Reine et les seuls mots qui lui viennent spontanément sont à nouveau calme et silence. Une couleur jaune d’or mat teinte la totalité de l’espace, à l’image d’un vent qui souffle sur un sable d’or. Rien ne se dessine vraiment, Feminæ est présente et consciente.
Lorsque le fil noir zigzag et se déploie devant elle, elle le suit vers cette lumière qui lui donne ce sentiment de création, d’espace artistique, d’un lieu esthétique. Elle respire l’intuition. C’est très léger et pourtant il y a tout dans cette respiration, l’expire et l’inspire sont unifiées. Pas de frontière - Silence -

Le signe du tao lui apparaî
t dans cet espace. Il tourne sur lui-même dans le sens contraire des aiguilles d’une montre – Silence – le silence est féminin. Tout est calme, plein, la lumière est tamisée, irisée, aucune présence humaine, ni végétale, seul l’oiseau noir est là et ces particules dorées qui saupoudrent l’espace. Feminæ rentre dans un espace sacré sans forme – une grotte sans murs. Elle vient là pour être présente à elle. Aucune notion de distance, aucun repère, alors que tout est vaste. Son corps lui montre sa présence, ses reins surtout, frais comme la température d’une cave en été.

Est-elle dans une boule qui n’est pas une boule puisqu’il n’y a pas de forme ? Une rondeur, alors.

Les particules fines, poussières d’or, se déplacent lentement dans cette lumière homogène, sans pesanteur. La fraîcheur dans ses reins, accompagnée par celle de son ventre, revient comme par surprise. Un sourire lui monte aux lèvres. L’espace est toujours présent, les paillettes d’or dansent. C’est joyeux, universel.

Feminæ a un grand besoin de ne rien faire, rien dire. Tout est là, pas de fabrication. Tout est frais, sans âge, sans frontière, sans son. Pas de coeur qui bat, c’est sûrement ça le coeur, le véritable coeur.

Masculum n’a pas sa place ici, il n’y a pas de passage, pas de porte, pas d’attaque possible. Rien ne peut déranger ce lieu. Et pourtant ; pourtant Masculum y est, Feminæ le sent – peut-être dans une des paillettes? 
Feminæ est en sécurité totale, personne ne peut abimer cet espace, tout y est en constant renouvellement, rien ne peut s’y arrêter, le stationnement est impossible, le mouvement est toujours présent. On ne peut pourtant pas en faire le tour, il n’y a pas de tour, pas de peau. L’exploration se fait par les sens, toujours en mouvements, comme si des cellules voyageaient sans parois, sans frontières. Une sensation de rondeur, comme un ressenti d’hyper puissance invisible. 

C’est Masculum qui trouve les mots. Masculum est le traducteur. Feminæ sent que les mots ont une frontière. 

Elle se sent pleine, elle sent la source, la vie. Elle accepte le privilège d’être là !

C’est le souffle qui l’a amenée là et c’est par lui qu’elle peut y revenir. Feminæ sourit, la grand-mère maternelle se représente devant elle, la joie éclairant son visage. L’oiseau regarde patiemment la scène, l’initiation, il remarque cet équilibre de Feminæ. Il sait qu’elle a rencontré l’autre elle-même, le traducteur, celui des mots. Un fin, très fin fil de cuivre est posé sur sa chevelure, reliant les deux tempes, une fibre de circulation avec Masculum.
 




Juste l'âme d'une photographie

Dans le frigo depuis plus de 15 ans, un vieux film Polaroïd 055 (avec négatif 4x5 récupérable), s'est montré et a contemplé mes mains - le froid sans doute. Nous nous sommes regardés, souris, des flashs de souvenirs sont arrivés. Je l'ai pris dans la main, soupesé - comme si il avait maigri. Et puis en silence, je suis monté dans la pièce au-dessus prendre le dos 545 qui pouvait recevoir le film - toujours dans ma main. Pas eu à chercher longtemps, nous nous étions vus quelques jours avant. 

Il attendait. 

Une chambre fabriquée à la main par un artisan, posée sur un pied, se languissait de regarder par la fenêtre depuis deux ans et demi, sûrement fâchée d'être reléguée au rang d'objet de décoration. 

Abandon.

Tout est allé très vite, les gestes ne demandaient aucune réflexion. La chambre a été désolidarisée du pied, le dos 545 s'est retrouvé installé, le film 055 est rentré là où il fallait, le papier de protection et le bouchon d'objectif ont été enlevé, posés sur la table, l'obturateur a été armé, la chambre s'est retrouvée stable dans mes mains, pas de viseur, pas de posemètre - je savais qu'il n'y en avait pas besoin. 

Ma main a enclenché et déclenché quatre fois l'obturateur, elle aussi savait. 

Remis la protection du film, sorti le dos de la chambre qui s'est retrouvé posé sur la table, et toujours sans pensées, j'ai tiré sur la languette et le film est sorti à la bonne vitesse dans un geste mémorisé. 

Deux minutes d'attente et j'ai séparé le positif du négatif - le procédé Polaroïd est spirituel, il contient en lui le positif et le négatif, que l'on voit se détacher...

Et voila, elle est là. Le résultat d'une union entre des consciences. Des consciences d'appareils, de film, la mienne. Des âmes qui se retrouvent.



Mise à jour du site gerardrouxel.fr

 Faire la mise à jour d'un site sous Wordpress demande de s'y atteler... Reprendre le tutoriel fait par Anne Le Bot (merci) et voila après quelques tâtonnements, ça revient. Il reste quelques actualités à "actualiser".

http://www.gerardrouxel.fr/home/

Le jour trois de l'après

Pas si simple finalement cette sortie de confinement, enfin vu d'ici, vu de ma fenêtre. D'ailleurs cette expression "vu de ma fenêtre" me va très bien, je regarde à travers les carreaux - un peu sales, comme embrumés - et je ne sort pas. J'ai fait une tentative pour aller rendre une petite visite pédestre au port, aux écluses, aux bateaux - un terrien peut rester en admiration devant les choses de la mer - mais non, le silence est parti faire un tour, le vide s'est rempli... et la vitesse a repris ses droits. Je suis rentré. Il parait que ça s'appelle le "syndrome de la cabane", ne plus vouloir sortir de la cabane ou fermer les portes de la sienne.
Écouter les arbres, parler aux fleurs avec les mains, sans langage, les écouter s'endormir avec le chant de la grive musicienne, quand même vachement plus classe qu'un moteur diesel.
Et puis le troisième jour, une sortie et cette impression qu'il me manque quelque chose. Ah! la dérogation! Plus de papier et plus d'identité à présenter (enfin je n'en sais rien). Et puis une amie qui m'accompagne, nous pouvons aller plus loin que le kilomètre. Une espèce de sensation d'avoir décroché la laisse!
Longer la rivière, avec quelques couches de vêtements, les saints de glace ne sont pas encore partis, un petit vent frais. L'appareil photo dans la poche. Je le sors moins que pendant le confinement, le regard n'est pas le même, quelque chose a changé. Quoi? Peux pas dire. Un spleen s'est installé, pas un mal être, une mélancolie. Mais une mélancolie de quoi? Peux pas dire. Pas envie de chercher, pas envie de comprendre, juste regarder, pas s'énerver avec ça.
Et puis rentrer, regarder le jardin, aller déposer un peu d'énergie aux tomates, prendre une tisane de mélisse et menthe. Pas très faim, ça tombe plutôt bien, plus grand chose à manger. Demain je vais à la ferme de Marie, à Plougonven, faire les courses pour une partie de la semaine. La sortie de la semaine aussi pour le camion !
Et puis ce soir, je regarde les photos faites le troisième jour. Il n'y en a pas beaucoup. Est-ce que je vais les assembler? Non je n'ai pas très envie de ça. J'en sélectionne quatre sur les huit.
Elle sont là.
Prenez soin de vous.










Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante-cinq

Dès le premier jour de cette bien étrange période, l'appareil photo ne m'a pas quitté. Comme si nos regards s'étaient croisés et qu'un sourire était né. L'idée d'écrire ce journal avec des assemblages de photographies prises tout au long de la journée, s'est imposée. Ça fait suite à une résidence d'artiste à l'Abbaye du Relec, qui m'a permis d'explorer cette écriture inconnue jusque là. 
Le titre est apparu instantanément, sans aucune recherche, sans aucune retouche. "Voyages vers l'amour", est bien un pluriel de ce singulier mot "voyage" en cette période où la moindre sortie à l'extérieur demande une dérogation. Pas besoin de papiers, en revanche pour entamer le voyage vers l'intérieur... vers l'amour. 
L'amour ce bien étrange mot, qui fait naître des images en chacun.e d'entre nous. Parce que l'amour c'est un peu comme cet autre mot : "dieu", quelque chose que l'on situe à l'extérieur de soi. Et si dieu et l'amour n'était qu'une seule et même sensation à aller rencontrer à l'intérieur de soi ?
La période fut une opportunité pour entamer ces voyages, la photographie une remarquable compagne. Les soirées, ressemblent à des rituels méditatifs, la présence au moment des assemblages est vécue comme la contemplation d'une image qui va naître, mais dont je ne suis pas maître. Un accouchement sans douleur, tout en douceur. Je suis dans cette naissance la sage-femme et celui qui met au monde. Je vis cela en pleine conscience, en pleine solitude, complètement imprégné dans ce monde nouveau. 
Bizarres moments où rien ne me dérange, ni l'arrivée de textos, ni l'écoute de musiques. J'ai été très surpris de pouvoir être accompagné, depuis quelques temps, par cette émission de radio "Eldorado, rock, folk, etcétéra..." et par la voix de Pierre Lemarchand. Cette possibilité nouvelle pour moi d'être dans une double présence, celle de la création et celle de l'écoute.
Et puis au matin du 34ème jour, ce rêve. Ce rêve mi-endormi, mi-conscient, cette histoire qui débute. Ces textes qui arrivent après celui des assemblages, une irrésistible envie d'écrire, de raconter.

Voila, nous sommes au soir du 55ème jour de ce stop. Le mot demain n'a aucune signification, il a presque disparu de mon langage, comme aucune envie de le prononcer. Je ne sais pas et ça me va plutôt bien. Le chaos est venu là pour me montrer que la vie est fragile, mais que le saut dans l'inconnu m'est largement plus doux que rester attaché au piquet de mes certitudes.

Prendre l'envol, commence réellement à avoir du sens. Le mot liberté aussi.

*Merci à toutes celles et ceux qui m'ont accompagné, suivi et encouragé pendant cette expérience.



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante-quatre

Par surprise, elle me prend la main, nous courons vers la rivière, les volutes sonores qui nous suivent entament une discussion - dans notre dos - sur leur désir d'un apprentissage plus profond encore d'un voyage traversant les cinq sens. Une branche nous voit arriver et instantanément se plie pour fabriquer un siège pour elle, une souche m'appelle juste en face pour que je m'y installe. Un jeune arbre, placé entre nous deux, observe avec intérêt notre installation. La rivière et les oiseaux chantent, des poils de sangliers laissés sur le tronc marquent qu'ils nous ont laissé la place.
Le voyage dans les sens est une pratique qui nous relie à nous-mêmes, à la vie, à l'énergie créatrice. C'est devenu quelque chose qui nous accompagne au quotidien, mais par moment une demande plus forte se faire sentir d'aller contacter les sens. Souvent ce sont eux qui sont demandeurs. Aujourd'hui c'est mon odorat qui souhaite, plus que les autres, avoir ma visite, il "sent" que je peux l'utiliser encore plus, encore mieux. Le jeu consiste à aller à la rencontre l'un de l'autre, chacun faisant un bout de chemin vers l'autre.
Mon corps assis sur cette souche accueillante, se voit regarder par moi, par un moi extrêmement mobile, qui me détaille sous toutes les faces, qui soulève une mousse d'un tronc mort - je sens très fort cette odeur particulière. Il gratte la terre, fait passer ses doigts entre moi et moi, je sens son humidité. Il invente, il joue, je souris. Il me salue avant de se réintégrer en moi. Là, bizarrement, le son du monde s'invite dans mes oreilles et tout autour de ma tête.
Les sens, comme la vie, sont joueurs.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante-trois

L'ennui a t-il disparu après ce chaos ?
De quel ennui parle t'on ? De celui que chacun peut ressentir en lui-même ? De l'ennui collectif, mais là chaque monde doit être interrogé, consulté. L'ennui est-il connu par le monde minéral, le végétal ou l'animal ? Et la terre mère sait-elle de quoi il est question lorsque l'on évoque l'ennui ?
Il est possible que chacun a sa propre réponse.
En allant me questionner au plus profond de mon être, je remonte avec la sensation que l'ennui est inséparable de l'être humain. En tout cas, et pour revenir à la question, mon ennui est resté, il a franchi le seuil de ce monde, il a traversé le chaos. C'est quelque chose qui est là, une présence soutenable, incontournable. C'est la flamme ou la source de ma créativité, de ma curiosité, de mon envie d'apprendre. C'est à observer, je veux le regarder avec rigueur et vigueur, sans fuite, droit dans les yeux. Le mien possède un son particulier, un son profond, long, je le situe entre le coeur et la colonne vertébrale. C'est peut-être plus une vibration qu'un son. Toujours cette difficulté du langage, trouver un mot pour parler de choses indicibles. Je ne lui vois pas de couleur particulière, plutôt dans les teintes claires. Aucune tristesse dans mon ennui, juste une demande de présence, un appel à être ensemble.
L'ennui est sûrement le gardien de mon feu intérieur.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante-deux

Ce n'est pas la braise qui est arrivé en premier, c'est la cendre. Une cendre fine blanc/gris, de la couleur de celle qui est passée longtemps par le feu. Ensuite ce sont des branches calcinées noires qui sont apparues et puis les pierres qui entouraient ce feu. Tout cela est placé juste au-dessus du plexus solaire, en repos sur le sternum. Une main vient chercher ce feu intérieur pour le placer à l'extérieur, dans le même état, sans qu'une seule braise ne bouge. Le feu n'est pas éteint, il ne peut pas s'éteindre, il est permanent. Une voix me demande ce qui se passe si je mets du bois sur les braises et les femmes arrivent - tout du moins des êtres humains en robe longue, de tous les âges, souriants, dansants. Les flammes se mettent à onduler entrainant tout le monde autour d'elles. Il n'y a aucun son. Le paysage s'élargit sur la forêt tout autour et plus loin des pics montagneux. Un lac surgit sous forme de nuage, un nuage blanc/gris - comme la cendre du feu. Un des bords du nuage s'écarte pour faire une ouverture et une cascade surgit, l'eau se déverse dans des grandes vasques en pierre blanc/gris - comme le nuage. Toutes les personnes en file indienne passent par l'eau, l'eau qui purifie, qui nettoie, je suis parmi elles. Nous nous retrouvons autour du feu, la nuit tombe, il éclaire les visages radieux.
L'alchimie du feu et de l'eau.



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante-et-un

Le bleu c'est la musique, c'est le son, c'est l'amour, c'est liquide, féminin.
J'avais prévenu qu'il y aurait des jours où mon énergie à parler serait au plus bas, c'est le cas ce soir. Les mots ont tendance à ne plus vouloir sortir et bizarrement à ne vouloir rien dire. Par moments, il y a un mot qui arrive, je le répète une fois, deux fois et le mot devient vide de sens, je n'ai plus aucune idée de ce qu'il veut dire. C'est ça qui me prend l'énergie.
C'est tellement plus communicatif de laisser partir de son corps une onde colorée, tellement plus puissant et si compréhensible par le vivant.
Le son du bleu s'installe en moi, je vais dormir.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour cinquante

Un vrai passage de l'autre côté du miroir. La boule bleue est revenue et c'est transmutée dans le sens du retour pour reprendre sa couleur rouge. Mon coeur l'a regardée, presque admiratif, il savait que lui aussi était en capacité de changer de couleur, de prendre l'air venant des poumons et de faire circuler un sang bleu, un sang royal, un sang transparent, comme l'eau de la source. De relier ce sang intérieur à la voie lactée. Il n'y a pas à chercher une divinité à l'extérieur, elle est à rencontrer à l'intérieur.
Son énergie est transparente, elle est comme le vide, elle englobe la totalité, pour la voir je dois observer, rentrer en moi, transmuter le pouvoir, la force en Amour.
La source nous regardait, son émotion était palpable, visible. Pour la première fois je vis une source pleurer.
Nous avons vu son message : l'énergie de la liberté fait partie de nous-mêmes et lorsque nous la voyons à l'intérieur elle est à l'extérieur. Nos peurs - au cas où elles seraient revenues après le passage au-dessus du feu - s'envolent.
Le rouge se transmute en bleu.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-neuf

Et la boule bleue est là, ma respiration n'est plus la même, mon coeur bat très lentement - je peux compter ses pulsations. Je suis présent dans ce minuscule espace qui devient instantanément si vaste, infini et je me transforme, je suis la boule bleue. Je ne suis plus moi qui imagine une boule, je suis la boule, rien que la boule, toute la boule.
Je pars, ma liberté est totale. De microscopique cellule, je deviens la totalité de l'univers, tout va très vite, ou serait-ce le temps qui ralenti, qui s'évapore, qui n'existe plus ? La matière précède ce que j'appelai la pensée, qui explose ; il n'y a plus de pensée. La matière sait, elle sait depuis toujours, elle sait à l'avance, bien longtemps à l'avance. Qu'est-ce que je dis, il n'y a plus d'avance. Il y a le maintenant, qui sait, qui a toutes les informations, qui les transmet à l'infini, au vide, au plein, à mon corps, à ma main, cette main qui sait, qui a l'intuition, qui connait la réponse avant la question, qui n'a même pas de question puisqu'elle sait. Ma main est chaude, elle tremble, elle découvre sa puissance, sa connaissance. Nous communiquons sans filtre.
Tout mon corps est relié à lui-même et à l'infini, chaque cellule est consciente des autres, des milliards d'autres qui en même temps sont reliées aux milliards d'étoiles.
C'est une trame en multi dimensions, je suis dans ce vécu et en même temps je peux le raconter, même si ce n'est pas facile. J'imagine que le lire doit être complexe.
Prendre des respirations, peut-être...


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-huit

Les sources chantent, elles nous appellent. Parfois leurs voix sont tellement faible - parce qu'abandonnées depuis longtemps - qu'il y a parmi nous des femmes dont le sens de l'écoute est plus développé et ce sont elles qui les repèrent, les approchent. La rencontre entre ces femmes et ces sources se fait dans une telle énergie, un tel respect, que plus rien ne bouge, plus un son n'est entendu ; si il y a du vent, instantanément il arrête son souffle. Tout le monde est à l'écoute de ce contact.

Un jour, une femme avait eu ce rendez-vous avec une source dont le chant était vraiment très faible. Les ondes de couleur de communication sont sorties au-dessus du bosquet. La femme demandant aux arbres et aux plantes si plus de lumière pouvait être donnée à la source. Tranquillement les arbres les plus haut ouvrirent leurs branches, ceux plus petits trouvèrent la place pour écarter les leurs et les plantes d'eau se relevèrent profitant elles aussi de la clarté retrouvée.
Nous nous sommes installés après avoir salué la source. Elle rayonnait d'avoir trouvé la lumière, elle remerciait les arbres de s'être écartés. La femme qui avait entendu ce lieu sacré demander de la clarté, resta près d'elle. Nous sentions qu'un message allait être diffusé par la source. Le silence était palpable. La source se mit à raconter un enseignement, il y était question d'une boule rouge que les animaux et les humains avaient juste à côté du coeur, que cette boule nous devions aller à sa rencontre. Pour cela il fallait s'arrêter, voyager à l'intérieur de soi, aller dans les endroits les plus reculés, jusque dans les plus fines capillaires, revenir lentement vers le coeur et aller trouver cette boule rouge. Elle pouvait être de dimension différente pour chacun, ce n'était pas important.
Une fois le contact établi avec cette boule rouge, il lui était demandé de se transmuter en boule bleue.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-sept

Et la terre fut habitée par les dieux.
Des dieux à l'esprit animal, végétal, minéral, humain.
Des dieux sans peur, sans attente, surtout pas d'un dieu extérieur.
Les montagnes parlent à la mer et la mer se relie aux lacs des montagnes.
Les sources et les cascades chantent, les tambours répondent.
L'air vibre en couleur.
Le soleil et la lune se regardent,
la nuit leur fait un voile d'alliance.
La terre vibre, le chant des grenouilles aussi.
Le soir est noir, les étoiles s'invitent aux regards.
La conscience est magnifiquement présente.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-six

Dans le monde d'après, nous respectons des temps de passage, des moments où la nature à besoin d'un arrêt pour pouvoir se reconnecter à l'ensemble du vivant. Aujourd'hui est un de ses passages et la journée est consacrée au contact, à l'observation. Écouter, c'est aimer.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-cinq

Le pouvoir à été écarté de nos relations par l'absence de mots, mais pas seulement.
Un soir de renouveau de la nature, le feu nous a appelé, le groupe d'êtres humains, les animaux, l'esprit des végétaux et des minéraux, toutes les énergies étaient présentes. Nous sentions même la compagnie des quatre directions, de celles de la terre mère et du père ciel. Tout était présent.
L'une d'entre nous a commencé à jouer du tambour pour relier toute cette assistance, nous sentions le moment solennel. Les invitations du feu à venir l'entendre sont rares. Un tourbillon de flammes s'est élevé dans le noir du ciel, les braises rougeoyantes ont virevolté vers les étoiles, leurs soeurs. Le feu nous a envoyé son message, en produisant un son, rauque, il couvrait le son du tambour.
Tout de suite après, il a baissé d'intensité, les flammes ont rapatrié leurs braises et sont revenues tout près de leurs buches.
Et c'est là que ça c'est passé, chacun d'entre nous - les animaux en premier, nous les êtres humains juste après, suivi par l'ensemble des esprits, dans une espèce de file indienne joyeuse, nous sommes passés par dessus le feu. Nous l'avons tous enjambé, sentant au passage son intense chaleur bienveillante.
Dans ce passage sacré, la peur, la peur de chacun, est restée accrochée aux flammes.
L'un après l'autre nous nous sommes retournés pour regarder notre propre peur en combustion et aussi voir notre peur collective. Il faut le dire, car cette expérience du passage du feu a complètement changé la vie. La peur, les peurs partaient en fumée, une fumée sombre comme une ombre. Le feu est reparti de plus belle, nous nous sommes tous éloignés, les flammes sont devenues rouge, d'un rouge intense, d'un rouge sang, couleur du coeur. Et, comme la totalité des êtres en présence, j'étais devenu léger, je pleurais sans pouvoir arrêter - je crois que cette nuit là nous avons produit plus d'eau que la source.
La peur n'est jamais revenue.
Et le pouvoir, privé des mots et de la peur, s'est transformé en amour.



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-quatre

Maintenant, je vais tenter de rentrer un petit peu plus dans le détail de ce que nous sommes, notre arrivée ici après ce grand bond, après ce chaos si précieux. Je vais le faire avec le peu de mots qu'il me reste. Les mots, comme je l'ai déjà dit, n'ont pas passé la barrière, disons que nous ne nous en servons plus. Je vais dire les choses à ma façon, par étapes, car ça me prend de l'énergie de "repartir" vers cet avant. Naturellement, tout ce que je vais raconter là est une histoire vue à travers mon expérience personnelle, vue à travers mon prisme et à travers ma culture d'homme blanc européen.
Il faudra accepter des jours sans paroles, ou presque. Par exemple ce soir, j'ai plein d'images qui se bousculent dans ma tête et l'énergie que ça me prend à les canaliser est énorme. Ce que l'on vit est tellement différent, peut-être qu'en lisant ce récit il ne sera pas pris pour une histoire vraie.
C'est en grande partie pour ça que le langage n'a pas cours ici, les mots ne font pas forcément se comprendre les êtres humains. Les mots, à l'intérieur d'une même langue, d'un même dialecte ont tellement de sens différents.
Une phrase d'avant a été reprise par la source, pour bien nous montrer que le langage n'est rien de simple et qu'il peut être facteur de malentendus "Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous entendez, ce que vous comprenez... il y'a dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer". La phrase qui se termine par "essayons quand même", à été transformée dans un énorme éclat de rire par la source en "essayons autre chose". Et le autre chose est arrivé instantanément : la communication sans les mots, par les ondes de couleur. Ces ondes qui viennent du profond de notre être expriment d'une façon claire ce que nous sommes, ce que nous pensons vraiment, notre état de santé physique et psychologique, tout est transparent. Le langage par les ondes a supprimé le pouvoir des mots et de fait, a anéanti toute notion de pouvoir.
Ici, il faut comprendre que le connu à disparu, tout le connu.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-trois

Les rêves de la vie avant le chaos reviennent de plus en plus souvent. La source nous dit que c'est naturel, ce sont comme des traces gravées sur la fibre optique qui relie les yeux au cerveau, inutile de prendre de l'énergie à vouloir les effacer. Elles sont là et viennent dédoubler les images réelles que mes yeux voient, créant un assemblage hétéroclite quelque part dans la boite crânienne.
Le feu appelle, il réclame des présences, il demande à réchauffer des corps et la nuit peut être fraîche. Nous sommes une dizaine à aller à sa rencontre, je sens son énergie envelopper les corps, une communion s'opère. Nous nous asseyons et nos regards fixent les flammes, écoutant la musique produite par le bois. Nos énergies communes se dressent comme des danseurs se tenant par la main dans une folle farandole. La nuit est déjà intense...


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-deux

De temps en temps, des légères traces de souvenirs remontent et viennent troubler ma présence dans ces intenses moments de vie. Ce ne sont pas vraiment des souvenirs, ça se rapproche plutôt de rêves, toujours en noir et blanc. Ce soir en regardant la voie lactée, une image se projette comme sur un écran, c'est une image que j'avais faite avant le chaos, un assemblage.
Pourquoi celle-là ? L'ambiance, la lumière, l'odeur du parquet, ce pied qui aujourd'hui a une telle importance, cet oeil juste à deviner, ce jean's qui m'a suivi ici, la musique - celle que l'on a envie - que l'on peut entendre dans chaque espace, le goût des choses mangées sur cette table...?
Pour ce soir je vous l'envoie sur ce magnifique ciel étoilé, face à la vallée... la rivière coule en contrebas.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-et-un

Ce matin, j'ai voulu partir seul faire une marche vers un lieu qui s'est présenté en rêve. Toute la nuit mes rêves m'ont emmené au pays des sens, des cinq sens. Après avoir découvert le sentir, le toucher, l'écoute, le goûter, il me reste la vue. M'est-il possible de voir et de mettre en mouvement les autres sens ? Les enfants nous disent que lorsque les cinq sens fonctionnent ensemble, le sixième s'ouvre comme un arc en ciel pendant l'orage.
J'ai pris la sente tracée, celle qui passe par le col. J'aime cet endroit - j'y dépose à chaque fois des graines - comme une porte. Je ne l'ai encore pas franchie par la droite, ça me laisse découvrir un autre paysage, plus boisé, plus abrupte. La descente se fait rapidement et en bas je vois un marécage où la lumière s'infiltre à travers les arbres. C'est ce lieu que j'ai vu en rêve, ce lieu qui me demande de venir. Une fine rivière serpente entre les arbres, certains sont morts et commencent leur décomposition en laissant tomber leurs branches dans l'eau, formant un barrage naturel, d'où le marécage. De l'écume blanche s'est agglutinée en amont, faisant un reflet particulier. Je suis intimidé d'être là. La tête me tourne un peu, je m'assois sur une souche recouverte de mousse bien verte, une mousse épaisse, douce, accueillante. Je ferme les yeux, je visualise l'air rentrer par mes narines, j'entends le son de la rivière - cette petite cascade en aval du barrage -, mes pieds sont bien ancrés dans le sol et mes mains caressent la mousse. La main droite est appelée par un nombril de vénus qui souhaite m'apporter ses vitamines et je le mets en bouche. A ce moment précis, je sais que je suis là présent, que je vis ce que mon rêve m'a montré : les cinq sens sont attentifs les uns aux autres, il n'y a pas de séparation. J'ouvre très doucement les yeux et ce paysage marécageux, que j'avais trouvé un peu austère en arrivant devient étincelant de lumière, de sons - les oiseaux sont de la fête -, d'odeurs... Pas besoin de goûter pour ressentir, même l'air a du goût, son propre goût. Mes yeux ont du mal à tout capter en même temps, tout est mouvement, jaillissement. Mon coeur bat avec une telle force dans ma poitrine que les larmes sortent pour évacuer ce trop plein d'émotions.
C'est donc ça dont parlent les enfants, être en conscience dans les cinq sens développe le sixième, celui qui est ailleurs, qui arrive dans cette présence. Il ne vient pas du corps et pourtant c'est par le corps qu'il arrive. Il n'est pas corporel, mais peut le devenir. Plusieurs énergies lui sont attribuées, celle de la créativité, de l'intuition, de la mémoire ancestrale, du feu primaire. C'est par lui que l'on passe pour trouver son chemin, sa voix. Il est le symbole de la féminité.



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante

Ce soir, je serai court dans le récit, nous avons particulièrement pris contact tout au long de la journée avec le sens du goût et ça demande une présence de chaque instants, oui une concentration. Garder l'équilibre entre l'hémisphère droit et gauche du cerveau, visualiser un fil de cuivre qui relie les deux pour éviter que le gauche ne reprenne les commandes.
Ce sont les enfants qui sont devenus nos enseignants, aujourd'hui. Et ils ont une telle vivacité, tout va tellement vite dans leur apprentissage. Il n' y pas de concurrence, pas de performance, juste de l'entraide. Ils ont une telle complicité avec les plantes, les animaux, le monde minéral, les éléments, les directions. Ils nous pilotent sur l'apprentissage des cinq sens et aujourd'hui pour celui du goût (mais toujours en lien avec les quatre autres), ça a été un festival d'inventivité, de jeux, de montées et de descente de la colline.
Je "goûte" avec délice le sommeil arriver.




Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-neuf

Et l'ouïe est à l'écoute du toucher.
La source, qui porte la mémoire du temps ancien, nous a raconté cette histoire, cette histoire d'avant le chaos, bien avant le chaos. Elle parle d'un peuple premier, les Cahuillas, qui vivent dans le désert et dans les montagnes de l'autre continent, ils cueillent des plantes avec une connaissance très précise. Ils disent qu'en étant attentif et patient, chacun est en capacité d'entendre les plantes parler*. Cette histoire nous a touché profondément et nous nous sommes mis à écouter. La source nous a prévenu que ce n'est naturellement pas un langage que nous connaissons, mais que nous comprendrons. Nous sommes devenus patients, j'ai eu du mal au départ. Et puis d'autres sont venus me montrer que si je touche les plantes, pour être plus précis, si je dirige mes mains vers les plantes, elles émettent un son. Chaque plante à sa propre fréquence, ce qui fait qu'avec de la pratique je peux communiquer avec plusieurs d'entre elles. Ce sont des vrais moments de grâce, les larmes de joie sortent souvent dans ces instants. La pensée n'est pas là, c'est une expérience directe de communication entre les êtres.
Ces pratiques se sont rapidement étendues vers le monde animal et minéral. Il est des moments magiques lorsque les volutes d'énergies et les sons des différents mondes s'offrent aux sens de la vue et de l'ouïe. C'est devenu notre façon de vivre et ça demande une conscience de tous les instants, ce qui nous rend si rayonnants, si présents.
Quelques fois nous ressentons la faim, ce sont les plantes qui s'en aperçoivent en premier, ce sont elles qui se proposent de nous nourrir, elles nous invitent à nous rassasier.
Et l'ouïe développe le goût.

* Gary Snyder Le sens des lieux. Ethique, esthétique et bassins versants, page 56, paragraphe "Le yogi et le philosophe".






Journal de confinement "Voyages ers l'amour". Jour trente-huit

Ce sont les sources qui ont demandé la présence du feu à leur côté. C'est une demande qui a été faite le jour de la grande brume, lorsque les volutes de couleur se sont rencontrées. Les sources disant que l'énergie du feu est bénéfique à celle de l'eau. Ici, il est placé à l'aval, juste à coté des céramiques recevant les offrandes. Il est permanent, gardé par les êtres humains qui se relayent pour l'alimenter, les animaux se tiennent légèrement à distance.
Le feu réchauffe les corps et développe le sens du toucher, mais sa fonction principale est bien d'être relié à la source, comme deux amants inséparables. En fait ici, rien n'est séparable, chaque particule est en communication constante avec une autre, avec les autres, toutes les autres.
La terre, le vent, l'eau, le feu, les quatre directions, le vide, jouent, chantent, vibrent, dansent... dans - pour un oeil non averti - un ballet foutraque, où les volutes colorées croisent des auras sonores. Un opéra jamais écrit car toujours changeant, surprenant, virevoltant. Une ode gratuite, commune, sans histoire, sans vainqueur... une ode à la vie.
Assis dans l'herbe, regardant toute cette beauté, tout cet invisible, les animaux et nous avons commencé à caresser l'herbe. Le feu développe vraiment le sens du toucher.



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-sept

La vue sur la source en venant du col est surprenante. Un groupe chante en cercle quasiment parfait, d'autres s'affairent à proximité, déposant des offrandes - fruits, fleurs, petites pépites trouvées sur les chemins - dans des céramiques que des artistes ont fabriqué spécialement. Une zone argileuse tout près s'est proposée à la transformation par le feu. 

Depuis le chaos, toutes les sources sont des communs, pas des biens communs, des communs. 
Plus rien n'appartient à personne, alors les sources... 

D'ailleurs nous n'y venons pas pour boire, mais pour rendre visite, pour prendre soin. La source voit si nous avons besoin de son eau, et si c'est le cas, le coeur de l'être humain s'ouvre à la réception du cadeau. Le sens du goût se développe. 

Chaque être vivant, en conscience, est gardien des communs, les sources sont honorées nuit et jour, jamais seules. Les animaux ont toute leur place, mais les nuits de nouvelles lunes, leur présence est plus accentuée. 

C'est par un chant, un jour de brouillard, qu'elles ont demandé à être accompagnées. Ce sont les arbres les premiers qui ont répondu, puis les plantes, les pierres étaient déjà là. Les animaux et nous, sommes arrivés ensemble, par des voies différentes. Des volutes d'ondes colorées, sont sorties au-dessus de chaque être et la discussion a eu lieu. 
Je vois encore cette buse venir par l'ouest, passer au-dessus de la source et se faufiler entre les volutes, sans troubler un seul instant la communication.


Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-six

La nuit a été rêveuse, je me réveille saoul de sommeil. Quelques pas dans l'herbe pleine de rosée et je sens toute la vibrance intérieure du corps, tout se met en route. Le fait de passer de la position horizontale à la verticale fait réagir toutes les mémoires ancestrales, les sens se réveillent. Ces fameux cinq sens qui sont apparus à tous, après le réveil, après le chaos. Chacun d'entre nous les avons ressentis, vécus, en même temps, comme un choc, comme une découverte de l'existence du corps.
Rien d'agréable ou de désagréable, juste vivre avec le vivant, juste sentir l'air rentrer par les narines - ce matin, plus frais que celui qui vient de sortir - passer par la gorge, par la trachée et rentrer dans les poumons, visiter le coeur, passer tranquillement le plexus solaire - bienheureux de sentir la température extérieure - et ressortir informer le dehors de la vibration interne. Un système parfait, presqu'automatique, devenu conscient.
Comme je l'ai déjà dit, mais c'est important de le répéter, le souffle règle nos pas.
Et le moyen de nous déplacer est la marche.
Avec quelques autres, nous partons voir la source, retrouver les autres sens...



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-cinq

Aujourd'hui, je me suis assis au bord de la rivière. Et puis je suis rentré au camp de base, sans avoir rencontré un être humain. Un corps féminin, nu, s'est présenté là devant. La carte postale a traversé le chaos, une photo d'Irving Penn, ses superbes tirages au platine, peut-être ça qui l'a gardée intact. L'abeille n'a pas survécu, pourtant ses ailles argentées dans la lumière faisait penser qu'elle s'envolerait dans l'instant. Gary était penché par-dessus sa machine à écrire, le magnétophone prêté par Burroughs déconnait, et Gary écrivait sur les expériences sonores et de cut-up, collage et de montage de Bill. Un feuillet dépassait de la machine "La voix insistante, chamanique, doctorale et cabotine de Bill Burroughs ainsi que sa médecine douteuse et amère auront sans aucun doute un effet très bénéfique sur vous."
Je me demande comment va M. Snyder. Gary était là, mais pas là bien entendu, il doit faire partie d'un groupe la-bas. Nous ici, notre groupe s'est formé au gré des marches, des déplacements, il n'y a pas de connu, pas de souvenirs, nous sommes. Avons-nous des noms, des prénoms ? Personne ne pense à ça, nous n'avons pas besoin d'identité supplémentaires, nous sommes. Pas de paroles, la communication se fait par ondes de couleur.
J'ai subitement envie de mettre la cassette de Burroughs, parait que l'effet est déroutant et "érotique".

Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-quatre

C'est après, c'est le monde d'après. Nous sommes sans arrêt en déplacement, tout a été déconstruit. La marche est le seul moyen de transport. Plus personne ne pense à ce qu'a été le monde d'avant, plus personne ne pense à travailler, tout du moins le travail consiste à vivre, à bouger, à aimer, à marcher, à découvrir. Personne ne sait ce que sera demain, d'ailleurs ce mot n'a plus de signification. Toutes les valeurs ont été balayées, ce qui compte c'est la vie, comment vivre le maintenant, comme juste après une naissance sans famille, d'ailleurs ça non plus ne veut plus rien dire - la famille. Cette idée d'être élevé par ceux qui nous ont conçu a disparu, comme le reste, instantanément.

Actuellement, nous sommes un groupe et nous allons rejoindre, en passant par la montagne, un lieu dont quelqu'un a dit qu'il s'y passe des choses, des choses fortes.
En fait, le moteur de la vie est devenu celui-là : rechercher les lieux où une communication avec la nature est facilitée. Des sources, des pierres, des montagnes, des grottes, des ruisseaux...
Tout est devenu simple, ce virus a fait énormément de morts, mais rien par rapport à ce qui s'est passé ensuite. Bizarrement nous ne savons plus très bien ce qui s'est passé réellement, comme si nous avions sauté collectivement dans un autre espace, une autre dimension. Nous avons désappris très rapidement tous les gestes, sauf les plus primaires : marcher, observer, contempler. Manger, boire, s'habiller ne sont plus des notions vitales, nous mangeons et buvons lorsque nous avons faim et soif, et surtout lorsque le nature nous offre les choses.
Il n'y a pas de chef, ni de chèfe, chacun est responsable de lui-même. S'il y a quelque chose qui ne va pas, la "faute" n'est pas recherchée chez l'autre mais chez soi, dans son propre comportement. L'autre, n'importe quel autre, est devenu une autre partie de nous-mêmes. Dire ou faire du mal - ou du bien - à l'autre revient à dire ou faire du mal - ou du bien - à soi-même. C'est arrivé comme ça, d'un coup, spontanément.
La nature a une puissance énorme, nous la respectons à tel point qu'un caillou dans une sandale devient un ami qui arrive pour nous masser un point qui doit être massé, lorsque c'est un peu trop fort, nous l'enlevons et le déposons délicatement, respectueusement sur le bord du chemin.
Tout est à la bonne cadence, comme en osmose avec notre respiration.
Le souffle règle nos pas.


Journal du confinement "Voyages vers l'amour". Jour dix-neuf

"L'expérience nous montre que la crasse, derrière le rêve, est souvent ce que nous cherchions au départ. Quand notre pensée cherche refuge dans le blanc et le noir, nous passons à côté de l'énergie que procure la vie et l'art.
Nous ratons l'ivresse de la danse et de l'inconnu.
Nous échangeons la beauté de l'imprévisible contre la promesse banale de se débrouiller comme nous l'avons toujours fait. Les choses vraiment intéressantes arrivent dans l'espace vide entre ces deux opposés, quand nous nous laissons dériver et regardons au-delà de ces murs.
La vue est sublime et ne ressemble à rien de ce que nous connaissons."

Chris Eckman. Auteur compositeur du groupe Walkabouts.
Tiré du livre de Catherine Viale et Mathieu Moreau It's not only rock&roll
Entendu dans l'émission Eldorado Errance #135 : de Tarnation à R.E.M.
http://www.radio-eldorado.fr



Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour dix-huit

étonnant, ces soirées passées à compiler une journée
des captures de jour qui s'assemblent la nuit
l'ombre et le blanc
le noir et la lumière
     - équipe
tout s'imbrique
je suis tout ça
une mémoire
     - sans mémoire