Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour trente-quatre

C'est après, c'est le monde d'après. Nous sommes sans arrêt en déplacement, tout a été déconstruit. La marche est le seul moyen de transport. Plus personne ne pense à ce qu'a été le monde d'avant, plus personne ne pense à travailler, tout du moins le travail consiste à vivre, à bouger, à aimer, à marcher, à découvrir. Personne ne sait ce que sera demain, d'ailleurs ce mot n'a plus de signification. Toutes les valeurs ont été balayées, ce qui compte c'est la vie, comment vivre le maintenant, comme juste après une naissance sans famille, d'ailleurs ça non plus ne veut plus rien dire - la famille. Cette idée d'être élevé par ceux qui nous ont conçu a disparu, comme le reste, instantanément.

Actuellement, nous sommes un groupe et nous allons rejoindre, en passant par la montagne, un lieu dont quelqu'un a dit qu'il s'y passe des choses, des choses fortes.
En fait, le moteur de la vie est devenu celui-là : rechercher les lieux où une communication avec la nature est facilitée. Des sources, des pierres, des montagnes, des grottes, des ruisseaux...
Tout est devenu simple, ce virus a fait énormément de morts, mais rien par rapport à ce qui s'est passé ensuite. Bizarrement nous ne savons plus très bien ce qui s'est passé réellement, comme si nous avions sauté collectivement dans un autre espace, une autre dimension. Nous avons désappris très rapidement tous les gestes, sauf les plus primaires : marcher, observer, contempler. Manger, boire, s'habiller ne sont plus des notions vitales, nous mangeons et buvons lorsque nous avons faim et soif, et surtout lorsque le nature nous offre les choses.
Il n'y a pas de chef, ni de chèfe, chacun est responsable de lui-même. S'il y a quelque chose qui ne va pas, la "faute" n'est pas recherchée chez l'autre mais chez soi, dans son propre comportement. L'autre, n'importe quel autre, est devenu une autre partie de nous-mêmes. Dire ou faire du mal - ou du bien - à l'autre revient à dire ou faire du mal - ou du bien - à soi-même. C'est arrivé comme ça, d'un coup, spontanément.
La nature a une puissance énorme, nous la respectons à tel point qu'un caillou dans une sandale devient un ami qui arrive pour nous masser un point qui doit être massé, lorsque c'est un peu trop fort, nous l'enlevons et le déposons délicatement, respectueusement sur le bord du chemin.
Tout est à la bonne cadence, comme en osmose avec notre respiration.
Le souffle règle nos pas.