Journal de confinement "Voyages vers l'amour". Jour quarante-et-un

Ce matin, j'ai voulu partir seul faire une marche vers un lieu qui s'est présenté en rêve. Toute la nuit mes rêves m'ont emmené au pays des sens, des cinq sens. Après avoir découvert le sentir, le toucher, l'écoute, le goûter, il me reste la vue. M'est-il possible de voir et de mettre en mouvement les autres sens ? Les enfants nous disent que lorsque les cinq sens fonctionnent ensemble, le sixième s'ouvre comme un arc en ciel pendant l'orage.
J'ai pris la sente tracée, celle qui passe par le col. J'aime cet endroit - j'y dépose à chaque fois des graines - comme une porte. Je ne l'ai encore pas franchie par la droite, ça me laisse découvrir un autre paysage, plus boisé, plus abrupte. La descente se fait rapidement et en bas je vois un marécage où la lumière s'infiltre à travers les arbres. C'est ce lieu que j'ai vu en rêve, ce lieu qui me demande de venir. Une fine rivière serpente entre les arbres, certains sont morts et commencent leur décomposition en laissant tomber leurs branches dans l'eau, formant un barrage naturel, d'où le marécage. De l'écume blanche s'est agglutinée en amont, faisant un reflet particulier. Je suis intimidé d'être là. La tête me tourne un peu, je m'assois sur une souche recouverte de mousse bien verte, une mousse épaisse, douce, accueillante. Je ferme les yeux, je visualise l'air rentrer par mes narines, j'entends le son de la rivière - cette petite cascade en aval du barrage -, mes pieds sont bien ancrés dans le sol et mes mains caressent la mousse. La main droite est appelée par un nombril de vénus qui souhaite m'apporter ses vitamines et je le mets en bouche. A ce moment précis, je sais que je suis là présent, que je vis ce que mon rêve m'a montré : les cinq sens sont attentifs les uns aux autres, il n'y a pas de séparation. J'ouvre très doucement les yeux et ce paysage marécageux, que j'avais trouvé un peu austère en arrivant devient étincelant de lumière, de sons - les oiseaux sont de la fête -, d'odeurs... Pas besoin de goûter pour ressentir, même l'air a du goût, son propre goût. Mes yeux ont du mal à tout capter en même temps, tout est mouvement, jaillissement. Mon coeur bat avec une telle force dans ma poitrine que les larmes sortent pour évacuer ce trop plein d'émotions.
C'est donc ça dont parlent les enfants, être en conscience dans les cinq sens développe le sixième, celui qui est ailleurs, qui arrive dans cette présence. Il ne vient pas du corps et pourtant c'est par le corps qu'il arrive. Il n'est pas corporel, mais peut le devenir. Plusieurs énergies lui sont attribuées, celle de la créativité, de l'intuition, de la mémoire ancestrale, du feu primaire. C'est par lui que l'on passe pour trouver son chemin, sa voix. Il est le symbole de la féminité.